Le soleil se couche sur Erbalunga
Imprimé en mars 2016
Le synopsis
Malmené jusqu’au tréfonds de ses entrailles, Mattéo Valentini a choisi l’exil, incognito, sur la côte Est du Cap Corse, sur cette terre qui l’a vu naître.
Paquie n’est plus, Mattéo ne respire que le tourment.
Un mal de vivre qui le poursuit pourtant, quand bien même il foule le sol de l’île.
Intrigué par le comportement étrange d’un jeune garçon, le commissaire retrouvera certains réflexes de sa vie d’avant qui le ramèneront, des jours durant, au pied de la tour d’Erbalunga.
Quand son regard croise celui de Loïc, il se retrouve peu après sur le chemin de Liza, jeune femme divorcée qui cumule deux emplois et chérit, dans un univers hors normes, son fils, un garçonnet mystérieux, un enfant pas comme les autres ; Loïc.
De cet échange humain, authentique, découlera une complicité fortuite. Mais ils ne se doutent pas encore jusqu’à quel point…
Sylvie Orsini
A quarante-cinq ans, « Meilleur Ouvrier de France » dans l’Art de la faïence, elle troque les pinceaux pour la plume. Italienne d’origine, elle réside à Folelli, en Corse, depuis vingt-cinq ans, à l’orée de la Castagniccia. Elle y partage ses passions avec son mari et ses deux enfants.
Notes de l’auteure
Comment naissent les histoires ?
Un simple détail peut mettre l’accent sur le thème central d’une fiction. Parfois, c’est l’originalité d’une remarque qui excite notre esprit et nous donne l’envie de nous lancer dans l’écriture. Le lieu aussi peut se révéler source d’inspiration. Pour celle-ci, je dois dire que cela a été la chanceuse combinaison de ces trois ingrédients.
Pour le lieu : drôle de coïncidence, mais le hasard a voulu que cette fiction prenne vie à Erbalunga, le village corse que j’affectionne le plus. Lorsque j’ai débarqué sur l’île, en 1989 et que j’ai commencé à en explorer les coins et les recoins, je suis littéralement tombée sous le charme de cette Marine. Pour moi c’était, et c’est toujours, l’un des plus beaux sites de Corse.
Pour le détail : je remercie mon mari, car c’est lui qui l’a relevé en premier.
C’était l’hiver, en février, mais un soleil généreux nous avait invités, par ce bel après-midi, à venir rêvas-ser au pied de la tour d’Erbalunga. Jacques, qui ne rate jamais une occasion de faire une petite sieste, avait éprouvé une soudaine envie de s’allonger sur les rochers plats réchauffés par les rayons du soleil. Raphaël, de son côté, était fort occupé à décrocher des arapèdes et à chercher d’autres coquillages dans le creux des rochers ; quant à moi, j’admirais la belle bleue, songeant à la suite à donner à mon prochain chapitre de « Derrière toi, le son d’une voix… », mon troisième roman, qui était loin d’être achevé à ce moment-là.
L’air commençant à se rafraîchir, j’avais dit à mon époux qu’il aurait été bon de songer à rentrer.
C’est en se relevant qu’il avait remarqué un jeune garçon en haut de la tour, tranquillement adossé au montant de l’ouverture qui faisait autrefois office de porte. Il n’avait pas une parka orange, mais bleue, si mes souvenirs sont exacts, et un casque sur les oreilles. Il devait écouter tranquillement sa musique préférée.
Je dois dire que cette vision, plutôt insolite, nous avait fortement interpellés.
Quelle avait été notre première réflexion ? Mais comment est-il monté ? Nous avions donc fait le tour du monument pour voir s’il n’y avait pas une ouverture qui permettait d’y accéder, mais rien. Brûlants de curiosité, nous lui avions fait signe que nous voulions lui parler. Il avait alors ôté son casque pour nous entendre, et, comme réponse à notre question, il nous avait expliqué qu’il l’avait tout simplement escaladée.
Je me souviens de cette remarque que nous avions faite ce jour-là et qui est restée gravée dans un coin de ma mémoire : c’est tout de même dangereux. Il pourrait faire une chute à l’intérieur de la tour et qui s’en apercevrait ? Encore fallait-il être à même de connaître son lieu de prédilection, car les enfants sont si secrets…
J’étais loin de me douter, dès lors, que la mèche était allumée pour ce quatrième roman.
Quelques mois plus tard, à l’approche des derniers chapitres de : « Derrière toi, le son d’une voix… », mon mari était curieux et surtout impatient de savoir ce que je comptais écrire après.
Comme il m’était déjà bien difficile, à ce moment-là, de quitter mes personnages — mes compagnons d’aventure avec lesquels j’avais ri et pleuré pendant quatre ans, et d’envisager un « après Déborah », je lui répondis que je n’en savais strictement rien.
Pourquoi ne pas écrire une histoire qui ne se déroulerait qu’en Corse, m’avait-il suggéré.
Au fil des mois, à maintes reprises, Jacques avait évoqué cette rencontre inattendue à la tour d’Erbalunga, mais là, il faut croire que le moment était venu pour me rappeler une énième fois ce « détail ». L’idée de composer un récit avec la tour d’Erbalunga comme toile de fond était plutôt alléchante, mais…, qu’allais-je écrire ?
Les pensées ont commencé à se bousculer dans mon esprit et c’est ainsi que peu à peu mon imagination a fait son travail : l’enfant de la tour… un lourd secret dévoilé.
Je pressentais pourtant que j’allais sortir des sentiers battus, qu’il me faudrait quitter la belle et douce Déborah pour me plonger dans un récit d’un tout autre genre, avec un épilogue des plus sinistres. Mais a-t-on vraiment le choix lorsque l’on tapote sur un clavier qui se laisse faire et que les pages semblent s’écrire toutes seules ?
En réalité, au fur à mesure que les personnages d’une histoire s’animent, ce sont eux qui décident pour nous et sans que l’on puisse les dominer, tels des chevaux fougueux, avides de liberté, ils se lancent tout droit vers leur avenir, un devenir qu’ils ont choisi et c’est alors qu’arrive le moment fatidique, celui qui va mettre un point final au dernier mot du dernier chapitre et qui va faire naître en moi un sentiment affreux, un sentiment qui enserre ma gorge et me paralyse : le doute, ce doute terrible qui me ronge encore et toujours et que je ressens encore aussi fort à ce moment même où je rédige cette page.
Et puis, écrire une histoire corse, moi qui ne le suis pas, le pourrai-je, même si je viens de passer vingt-sept années sur cette île enchanteresse et pleine de surprises ? Serai-je capable de façonner dans mon récit les contours de cette « me corse » tant décriée, sans tomber dans les clichés, le folklore, le caricatural ?
À vous, chers lecteurs, de me le dire.
Pour le lieu : drôle de coïncidence, mais le hasard a voulu que cette fiction prenne vie à Erbalunga, le village corse que j’affectionne le plus. Lorsque j’ai débarqué sur l’île, en 1989 et que j’ai commencé à en explorer les coins et les recoins, je suis littéralement tombée sous le charme de cette Marine. Pour moi c’était, et c’est toujours, l’un des plus beaux sites de Corse.
Pour le détail : je remercie mon mari, car c’est lui qui l’a relevé en premier.
C’était l’hiver, en février, mais un soleil généreux nous avait invités, par ce bel après-midi, à venir rêvas-ser au pied de la tour d’Erbalunga. Jacques, qui ne rate jamais une occasion de faire une petite sieste, avait éprouvé une soudaine envie de s’allonger sur les rochers plats réchauffés par les rayons du soleil. Raphaël, de son côté, était fort occupé à décrocher des arapèdes et à chercher d’autres coquillages dans le creux des rochers ; quant à moi, j’admirais la belle bleue, songeant à la suite à donner à mon prochain chapitre de « Derrière toi, le son d’une voix… », mon troisième roman, qui était loin d’être achevé à ce moment-là.
L’air commençant à se rafraîchir, j’avais dit à mon époux qu’il aurait été bon de songer à rentrer.
C’est en se relevant qu’il avait remarqué un jeune garçon en haut de la tour, tranquillement adossé au montant de l’ouverture qui faisait autrefois office de porte. Il n’avait pas une parka orange, mais bleue, si mes souvenirs sont exacts, et un casque sur les oreilles. Il devait écouter tranquillement sa musique préférée.
Je dois dire que cette vision, plutôt insolite, nous avait fortement interpellés.
Quelle avait été notre première réflexion ? Mais comment est-il monté ? Nous avions donc fait le tour du monument pour voir s’il n’y avait pas une ouverture qui permettait d’y accéder, mais rien. Brûlants de curiosité, nous lui avions fait signe que nous voulions lui parler. Il avait alors ôté son casque pour nous entendre, et, comme réponse à notre question, il nous avait expliqué qu’il l’avait tout simplement escaladée.
Je me souviens de cette remarque que nous avions faite ce jour-là et qui est restée gravée dans un coin de ma mémoire : c’est tout de même dangereux. Il pourrait faire une chute à l’intérieur de la tour et qui s’en apercevrait ? Encore fallait-il être à même de connaître son lieu de prédilection, car les enfants sont si secrets…
J’étais loin de me douter, dès lors, que la mèche était allumée pour ce quatrième roman.
Quelques mois plus tard, à l’approche des derniers chapitres de : « Derrière toi, le son d’une voix… », mon mari était curieux et surtout impatient de savoir ce que je comptais écrire après.
Comme il m’était déjà bien difficile, à ce moment-là, de quitter mes personnages — mes compagnons d’aventure avec lesquels j’avais ri et pleuré pendant quatre ans, et d’envisager un « après Déborah », je lui répondis que je n’en savais strictement rien.
Pourquoi ne pas écrire une histoire qui ne se déroulerait qu’en Corse, m’avait-il suggéré.
Au fil des mois, à maintes reprises, Jacques avait évoqué cette rencontre inattendue à la tour d’Erbalunga, mais là, il faut croire que le moment était venu pour me rappeler une énième fois ce « détail ». L’idée de composer un récit avec la tour d’Erbalunga comme toile de fond était plutôt alléchante, mais…, qu’allais-je écrire ?
Les pensées ont commencé à se bousculer dans mon esprit et c’est ainsi que peu à peu mon imagination a fait son travail : l’enfant de la tour… un lourd secret dévoilé.
Je pressentais pourtant que j’allais sortir des sentiers battus, qu’il me faudrait quitter la belle et douce Déborah pour me plonger dans un récit d’un tout autre genre, avec un épilogue des plus sinistres. Mais a-t-on vraiment le choix lorsque l’on tapote sur un clavier qui se laisse faire et que les pages semblent s’écrire toutes seules ?
En réalité, au fur à mesure que les personnages d’une histoire s’animent, ce sont eux qui décident pour nous et sans que l’on puisse les dominer, tels des chevaux fougueux, avides de liberté, ils se lancent tout droit vers leur avenir, un devenir qu’ils ont choisi et c’est alors qu’arrive le moment fatidique, celui qui va mettre un point final au dernier mot du dernier chapitre et qui va faire naître en moi un sentiment affreux, un sentiment qui enserre ma gorge et me paralyse : le doute, ce doute terrible qui me ronge encore et toujours et que je ressens encore aussi fort à ce moment même où je rédige cette page.
Et puis, écrire une histoire corse, moi qui ne le suis pas, le pourrai-je, même si je viens de passer vingt-sept années sur cette île enchanteresse et pleine de surprises ? Serai-je capable de façonner dans mon récit les contours de cette « me corse » tant décriée, sans tomber dans les clichés, le folklore, le caricatural ?
À vous, chers lecteurs, de me le dire.
Extraits du roman Le soleil se couche sur Erbalunga
~ Si chjina u sole in Erbalunga ~
……………Chap.1……………
Rencontre inattendue
Mattéo, souviens-toi de vivre…
Avant de clore ses yeux magnifiques, sincères et profonds, qui ne l’avaient jamais laissé indifférent, Paquie, dans un long et douloureux soupir avait eu le mot de la fin, l’enchaînant désormais à une promesse qu’il n’était plus certain de pouvoir tenir.
Ce manque physique et ce vide viscéral provoqués par la perte de celle avec qui il venait de partager trente belles et heureuses années de sa vie, c’était comme un poignard planté en plein cœur, que rien ni personne ne pourrait extraire. Il éprouvait un bouleversement, une douleur si intenses, que dans son âme, c’était un chaos tel qu’il en avait perdu ses repères et se sentait prêt à la rejoindre et mettre ainsi un terme à ce calvaire qui n’en finissait plus. Mais ces quelques mots : Mattéo, souviens-toi de vivre… ultime souhait de sa bien-aimée résonnaient sans cesse en lui, comme un comman-dement inflexible, au même rythme inlassable du clapotis des vagues finissant leur course en un ample baiser d’écume, sur les brisants, au pied de la tour d’Erbalunga.
Cette fortification, bâtie sur une langue de roches grises, s’avançait, audacieuse, comme un brise-lames, dans la Méditerranée ; elle lui rappelait tristement combien sa chère Paquie avait aimé cette vie qu’il voulait fuir aujourd’hui, et paradoxalement, lui, l’homme de terrain, était venu s’échouer ici, comme un bateau à la dérive, en cet endroit qu’elle avait adoré particulièrement, dès sa première rencontre avec la Corse. Était-ce une manière de la ramener à lui, que de vouloir faire revivre son souvenir ?
Depuis deux longs mois, Mattéo éprouvait le même sentiment d’un homme qu’on venait d’amputer d’une jambe, conscient que rien ne serait plus jamais comme avant. Usé, diminué dans sa chair, troublé au plus profond de son être, il lui faudrait désormais réapprendre à vivre… différemment.
Projeter continuellement ses pensées dans le passé, ne lui serait d’aucune utilité pour avancer, c’était l’évidence même ; mais il était si difficile de croire que la vie pourrait encore lui réserver des surprises alors que le bonheur semblait désormais être aux abonnés absents.
En cet instant, telle était la triste vision qu’il en avait et tels les sentiments qu’il éprouvait dans son coeur meurtri, pétri de douleur. Le regard orphelin, l’esprit dénudé, il scrutait depuis de longues minutes l’étendue de cette mer placide, aux reflets mouvants, cherchant désespérément des points d’ancrage et s’interrogeant sur le pourquoi des prochaines années de son existence. La seule perspective qui se dessinait sur son horizon à lui, c’était de finir sa vie sur cette terre de Corse, terre qui avait vu naître ses ancêtres.
*
L’air était passablement frais en ce mois de février, mais le soleil ne désarmait pas. De plus en plus vigoureux, il s’était mis à livrer une bataille acharnée aux épais nuages, et après avoir réussi une large percée, put prodiguer, enfin, sa chaude caresse aux rochers de schiste, lustrés, qui ceinturaient la tour. Mattéo ne sut résister à l’envie de s’asseoir sur une large roche plate, inclinée vers le large, afin de capter de tout son être cette chaleur apaisante et vivifiante.
De ce promontoire naturel, rongé par le sel et lissé par le vent, il pouvait observer le ballet magique des chatoiements lumineux à la surface de l’onde, super-bement chorégraphiés par l’astre flamboyant ; ils avaient pris d’assaut un esquif solitaire amarré à la bouée orange d’un corps-mort situé à une vingtaine de mètres du rivage et ils dansaient en s’enlaçant sur la coque rouge et turquoise. Ainsi parée, elle offrait au regard averti le tableau vivant d’un contraste saisissant avec le bleu profond de la mer.
Bercée doucement par la modeste houle, l’embarcation attendait le retour de son propriétaire. À un jet de pierres, de petites bulles, irrégulières, venaient d’éclore à la surface ; elles indiquaient la présence d’un plongeur nageant certainement en apnée à quelques mètres de profondeur. C’était sans doute la bonne heure et la bonne lumière pour piquer le poisson, ou cherchait-il, niché au creux des roches et dissimulé par l’ondulation reptilienne des algues vertes et brunes, l’incontournable star de la saison hivernale : l’oursin.
Mattéo, morose, se souvint de la belle époque où sa femme et lui n’auraient raté, pour rien au monde, une belle oursinade. Le temps d’un vol Nice Bastia, ils se retrouvaient pour un week-end, sur l’île, rassemblaient leur bande de copains, et dégustaient tous ensemble, dans la bonne humeur et les pieds dans l’eau, i zini, ces échinodermes dont l’enveloppe extérieure, bien que d’un marron plus foncé tirant sur le violet, évoquait néanmoins celle d’une de nos belles bogues de châtaignes. C’était tout simplement ça, le bonheur !
Accusant un coup de fatigue, Valentini s’allongea sur la pierre réchauffée et ferma les paupières, résolu à attendre que cette journée s’achève, comme les précédentes, dans le silence ; car tout n’était que silence, depuis.
Il s’était probablement endormi un bon moment, car le soleil avait disparu derrière la crête des montagnes et la fraîcheur de cette fin d’après-midi avait remplacé la chaleur de ses chauds rayons… ce qui le réveilla. En rouvrant les yeux, il eut soudain l’impression de se retrouver dans un tout autre monde, au paysage terne, presque lunaire, où la palette des couleurs, délavée, avait viré subitement au gris.
Cependant, à un endroit des plus inattendus, proche du sommet de la tour en ruine, subsistait une petite touche colorée qui attira immédiatement son attention.
*
……………Chap.8……………
Bavardages de comptoir
Chez Jeannot, le cadre n’était pas des plus idylliques, sans vue sur la mer ; malgré cela, l’atmosphère y était très sympathique et la terrasse de ce bar snack restaurant, en retrait de la rue, adossée au mur du jardin de « l’hôtel Demeure Castel Brando » était libérée ainsi du passage incessant des voitures sur la nationale. Très agréable pour les clients mais sans doute, un peu moins pour les garçons, qui avaient à redoubler de vigilance, leur plateau en équilibre, en traversant la voie pour servir.
Le journal en guise de paravent, Valentini semblait totalement absorbé dans sa tâche quotidienne, celle qui consistait à s’informer pour se contraindre à rester connecté avec la réalité, d’une manière ou d’une autre.
Au milieu de quelques tables éparses, le chien du patron « roupillant » à ses pieds pour toute compagnie, il avait l’air d’un touriste malencontreusement oublié lors de la saison précédente.
Comme de coutume, aux alentours de dix heures trente, Antò aimait bien faire une pause boulot en partageant un verre avec ses réguliers, histoire de bavarder un peu au comptoir et refaire la Corse pendant quelques minutes, et pour une fois, les questions politiques et économiques n’étaient pas à l’ordre du jour.
— Aiò Mattéo ! Ne reste pas tout seul dans ton coin. Viens fêter a vittoria du SCB ancu noscu !
Même pour les moins férus du ballon rond — ce qui était parfaitement le cas de Valentini — , il était malgré tout difficile d’ignorer ce succès à l’extérieur du Sporting, car il tapissait copieusement la première page du Corse-Matin avec un « deux à zéro » en gros titre. Le commissaire n’ignorait pas non plus la dévotion presque maladive de son ami pour le foot ; alors, le contrarier par une si belle et si glorieuse journée en refusant le verre de l’amitié n’était pas la meilleure option pour éviter les ennuis ; c’était bien connu, des générations entières ne s’adressaient plus la parole pour bien moins que ça ; il le rejoignit illico.
— On les a bien eus cette fois-ci, hé, n’est-ce pas, Mattéo ?
Antò serra avec poigne la main du commissaire en lui tapotant l’épaule. Il n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche qu’il était déjà en train de chroniquer l’événement.
— Deux à zéro ! Ça te dit Jean ! Ça, c’est plus qu’inespéré ! Je le savais, j’en étais sûr, depuis l’arrivée de Printant aux commandes du navire, nous avons retrouvé le bon cap en redevenant une véritable équipe. Des joueurs soudés, unis, qui ne font plus qu’un. Ah, ça me rappelle le bon vieux temps, le retour à certaines valeurs de base, mais, et surtout, la même envie de se battre pour le collectif.
Montrant son poing d’une largeur impressionnante, vu la taille de ses mains, il enchaîna :
— La meilleure défense, c’est l’attaque ! Le refrain est bien connu, n’est-ce pas Jean ?
Il venait de se tourner vers son collègue de travail qui en était déjà à son deuxième 51 et qui ne semblait pas vouloir en rester là.
Valentini s’interrogeait sur les aptitudes des deux compères à raccorder au réseau électrique les logements du nouveau lotissement en construction près d’Erbalunga, après les apéros qui suivraient.
Jean, moins excité qu’Antò pour la réussite bastiaise, opta pour la prudence :
— Peut-être, après tout, qu’on a bénéficié de circonstances favorables, comme le fait que les Nantais aient joué mercredi ou qu’ils aient terminé à 10. Mais ça n’enlève pas notre très bonne première mi-temps.
— Tu es tombé sur la tête ou quoi ! Moi, je te dis que la victoire est amplement méritée et que le Sporting s’est imposé à Nantes avec l’art et la manière, du début à la fin ! Qui avait le ballon le plus souvent ? Ce n’est pas les Bastiais peut-être ?
Il se tourna à nouveau vers le commissaire pour trouver un allié :
— Ho, Mattéo ?
Même s’il n’en avait pas la moindre idée, Valentini acquiesça de la tête. Avec une chance sur deux de se tromper, il se dit qu’après tout, il ne courait aucun risque face aux certitudes d’Antò.
Encouragé par le oui consentant de Mattéo, Antò renchérit :
— Je vous dis que, si le Sporting remporte une deuxième victoire contre Lille, il va être dans le top 10. Après ce premier cri de guerre, ils n’ont pas fini de nous surprendre. Ça va barder, croyez-moi. Allez, Mattéo, c’est ma tournée, fais un effort : un petit muscat du Cap, une bière ?
Il accompagna sa proposition de son accoutumée tape amicale sur le dos. Ce qui, vu la force, alliée à la masse des mains de son ami, provoquaient à chaque fois chez Valentini, une secousse qui le forçait à se pencher en avant.
— Un petit muscat, ça ira.
Une fois les verres remis à niveau, Antò brandit fièrement le sien comme s’il s’agissait d’un trophée :
— Clin d’oeil du calendrier, mes amis, cette victoire tombe le même jour de la nomination du cardinal Mamberti. Si ce n’est pas une coïncidence ça ! Alors, buvons à la victoire du SCB et à notre enfant du Pays qui fait son entrée au Sacré Collège. Faire partie du prochain conclave en cas de décès du Pape François, ce n’est pas rien, tout de même.
Pendant un court instant, seuls les glougloutements des gorges assoiffées meublèrent le silence, et le commissaire en profita pour poser la question qui le turlupinait depuis la veille :